Les textes littéraires
L’aéroport d’Athènes (FR-AR) / Mahmoud Darwich
L’aéroport d’Athènes (FR) / Traduction d’Abdellatif Laâbi
L’aéroport d’Athènes nous répartit dans les aéroports.
Le combattant a dit : où combattrai-je ?
Une femme enceinte lui a crié : où t’offrirai-je ton enfant ?
Le fonctionnaire a dit : où ferai-je des affaires ?
L’intellectuel a rétorqué : c’est ton affaire.
Les douaniers ont demandé : d’où êtes-vous ?
Nous avons répondu : de la mer.
Ils ont demandé : où allez-vous ?
Nous avons répondu : à la mer.
Ils ont demandé : votre adresse ?
Une femme de notre groupe a répondu :
mon village, c’est mon baluchon.
A l’aéroport d’Athènes, nous avons attendu des années.
Un jeune homme a épousé une jeune fille
et ils n’ont pas trouvé de chambre pour consommer rapidement le mariage.
Il s’est demandé : où vais-je la déflorer ?
Nous avons ri et lui avons dit :
Cette question n’a pas lieu d’être, jeune homme.
L’analyste a dit : ils meurent pour ne pas mourir.
Ils meurent par hasard.
L’homme de lettres a dit : notre camp va sûrement tomber.
Que veulent-ils de nous ?
Chaque jour, l’aéroport d’Athènes changeait d’habitants.
Et nous, nous sommes restés comme des bancs sur les bancs, à attendre la mer,
pour combien d’années,
Ô aéroport d’Athènes !
مَطَارُ أَثِينَا
مَطَارُ أَثِينَا يُوزِّعُنَا لِلْمَطارَاتِ. قَالَ المُقَاتِلُ: أَيْنَ أُقَاتِلُ؟ صَاحَتْ بِهِ
حَامِلٌ: أَيْنَ أُهْدِيكَ طِفْلَكَ؟ قَالَ المُوَظَّفُ: أَيْنَ أُوَظِّفُ مَالِي؟ فَقَالَ
المُثَقِّفُ: مَالِي وَمَالكَ؟ قَالَ رِجَالُ الجَمَارِكِ: مِنْ أَيْنَ جِئْتُم؟ أَجبْنَا: مِنَ
البَحْرِ. قَالُوا: إِلَى أَيْنَ تَمْضُون؟ قُلْنَا: إلى البَحْرِ. قَالُوا: وَأَيْنَ عَنَاوِينُكُم؟
قَالَتِ امْرَأَةٌ مِنْ جَمَاعَتِنَا: بُقجَتِي قَرْيتِي. فِي مَطَارِ أَثِينَا انْتَظَرْنَا سِنينَا. تَزَوَّج
شَابُّ فَتَاةً وَلَمْ يَجِدَا غُرْفَةً لِلزَّوَاجِ السَّرِيعِ. تَسَاءَلَ: أَيْنَ أَفُضُّ بَكَارَتَهَا؟
فَضَحِكْنَا وَقُلْنَا لَهُ: يَا فَتىً, لَا مَكَانَ لهَذَا السُّؤالِ. وَقَالَ المُحلِّل فِينَا:
يَمُوتُونَ مِنْ أَجْلِ أَلَّا يَمُوتُوا. يَمُوتُونَ سَهْواً. وَقالَ الأَدِيِبُ: مُخَيَّمُنَا سَاقِطُ
لاَ محَالَة. مَاذَا يُريدُونَ مِنَّا؟ وَكَانَ مَطَارُ أَثًينَا يُغَيِّرُ سُكَّانَهُ كُلَّ يَوْمٍ. وَنَحْنُ
بَقَيْنَا مَقَاعِدَ فَوْقَ المَقَاعِدِ نَنْتَظِرُ البَحْرَ, كَمْ سَنةً يَا مَطَارَ أَثِينَا
Mahmoud Darwich, poète et dissident palestinien :
« Je n’écris pas habituellement de poésie dans les avions. Je n’y fais pas davantage mes articles ou mon courrier. Et il ne m’est arrivé qu’une seule fois de devoir dormir sur un banc d’aéroport.
Mais je peux parfaitement imaginer un être qui passerait sa vie dans un aéroport, quand l’ordre international et le droit international sont incapables de lui assurer l’accès à quelque pays que ce soit, quand la liberté d’entrer et de sortir est conditionnée par un tampon officiel sur une feuille de papier. Par la détention d’un papier frappé d’un tampon. C’est la vie moderne ! L’individu n’y a d’autre identité que celle que lui assigne le ministère de l’intérieur.
Cet être, un aéroport l’enverra dans un autre qui l’embarquera à destination d’un troisième, qui l’expédiera vers un quatrième. Tel un colis postal dont les adresses du destinataire et de l’expéditeur seraient perdues.
C’est ce qui m’est arrivé il y a quelques années : un aéroport parisien a gracieusement fait don de ma personne à un aéroport belge qui en fit de même à l’intention d’un aéroport polonais qui, pour finir, me vida dans un aéroport allemand, sans que j’aie à aucun moment le droit de discuter le droit, n’ayant moi-même aucun droit dans aucun aéroport.
Il ne m’a guère fallu plus dix minutes pour écrire à bord d’un avion mon court poème l’Aéroport d’Athènes, un peu comme j’aurais inscrit mes observations sur le temps qu’il fait. Je venais de passer deux heures dans l’aéroport grec grouillant de monde, avec des familles palestiniennes qui avaient formé une sorte de petite communauté, sans savoir comment elles s’étaient retrouvées là, attendant ce qu’elles ne réclamaient pas, dans l’éventualité d’être jetées dans l’inconnu.
Un romancier contemporain pourrait trouver dans ce scénario, poussé au bout de sa dramaturgie, l’une des épopées de notre temps où l’homme se trouve lié à une force inconnue et ironique, sans même pouvoir poser la question de la liberté, individuelle et publique, dans un lieu hors de l’espace, dans une prison… »
Extrait du « Monde Diplomatique » juin 1987
Emigrante (PT-DE-FR) / Ana Júlia Monteiro Macedo Sança
Emigrante (PT)
O drama começa no momento
Em que nasce a ideia de «partir»
Aí param os sonhos
E começam os pesadelos.
Emigrante!
Esta é a alcunha que te deram.
A tragédia que isso acarreta
Consome anos de existência
Aniquilando lentamente
Castelos edificados de ilusões
Que dos sonhos ainda restam.
Emigrante!
Fantasia dos que ficam
Américas
Alemanhas
Francas
E outros mundos sempre iguais…
Emigrante!
Suportar esse título tão honradamente
Ter que comer o pão que o diabo amassou
Ser sempre forasteiro em porta alheia…
Sim, emigrante!
Emigrante = sobrevivência
Gritos de alma
Ambição amordaçada
Desejos frustrados…
VITA BREVIS num copo de vinho
Esquecer as amarguras
Da «Terra Prometida»
Auswanderer (DE)
Das Drama beginnt
wenn die Idee geboren wird auszuwandern.
Dann enden die Illusionen.
Dann beginnen die Alpträume.
Auswanderer ! so wirst du genannt
Diese Tragödie verbraucht Jahre
von deiner Existenz,
vernichtet langsam
Schlösser aus Illusionen
die von den Träumen noch übrig sind.
Auswanderer !
Träume für die die bleiben
Amerika,
Deutschland,
Frankreich…
Alles Welten die sich ähnlich sind…
Auswanderer !
Diesen Titel ehrwürdig ertragen
Des Teufels Brot zu essen
Immer fremd an fremden Türen….
Ja, Auswanderer !
Auswanderer = Überleben
Schreie der Seele
Zum Schweigen verdammter Ehrgeiz
Unerfüllte Wünsche…
VITA BREVIS in einem Weinglas
Die Bitterkeit vergessen
Von dem « gelobten Land »
Migrant (FR)
Le drame commence au moment
où naît l’idée de «partir»
Alors les rêves s’arrêtent
et commencent les cauchemars.
Migrant!
C’est ainsi qu’on t’appelle.
La tragédie qui en découle
Consomme des années d’existence
Annihilant lentement
les châteaux d’ illusions
restant de ces rêves.
Migrant!
Phantasmes pour ceux qui restent
Amériques
Allemagnes
Frances
Et d’autres mondes qui se ressemblent…
Migrant!
Supporter ce titre avec dignité
Manger le pain si durement gagné
Toujours étranger aux portes d’autrui…
Oui, migrant!
Migrant = survivre
Cris de l’âme
Ambition muselée
Désirs frustrés…
VITA BREVIS dans un verre de vin
Oublier les amertumes
de la «Terre Promise»
Identidade (PT-FR) / Mia Couto
Identité (FR)
Besoin d’être un autre
Pour pouvoir être moi-même
Je suis graine de roche
Je suis le vent qui l’érode
Je suis le pollen sans l’insecte
Je suis le sable soutenant
le sexe des arbres
J’existe là où je ne me reconnais pas
dans l’attente de mon passé
dans le désir d’un espoir d’avenir
Dans le monde où je combats je meurs
Dans le monde où je lutte je nais
Mar Português (PT-FR) / Fernando Pessoa
Mer portugaise (FR)
Ô mer aux eaux salées de tant de sel
Pour combien de larmes du Portugal !
Combien de mères – de t’avoir traversée –
Combien de pleurs de filles en prières,
En vain, promises restées sans époux,
Mer salée, avant que tu fusses à nous.
Cela valait-il ? Valait-il la peine ?…
Tout le vaut, si n’est pas petite l’âme.
Qui veut passer par-delà Bojador
Devra passer par-delà la douleur.
Dieu a mis en mer, abîme et péril
Mais c’est en elle que le ciel se mire.